Ici naissent le TGV et les tramways...

 

Les débuts

La première guerre mondiale n'est pas encore terminée que déjà les Alliés pensent à la reconstruction des pays touchés.

En France, les besoins en matériels ferroviaires sont énormes, et l'industrie nationale n'a pas les moyens de couvrir ces besoins. Aussi, les Etats-Unis vont participer à l'effort de reconstruction ferroviaire, et c'est en 1918 que s'installe à proximité de la gare de La Rochelle un atelier de montage de wagons, qui prend le nom de Middletown Car Company. Les wagons sont en effet expédiés en kit depuis les Etats-Unis, et débarqués dans le port rochelais.

La Middle Town Company en 1919 (Photo ALSTOM)

 

L'atelier prenant de l'ampleur, il est déménagé en 1920 dans la banlieue de La Rochelle, sur la commune d'Aytré, sur l'emplacement actuel de l'usine ALSTOM.

A cette occasion, l'entreprise adopte une dénomination plus française : les Entreprises Industrielles Charentaises (EIC).

Les ateliers au début des années 20 (Photo ALSTOM)

 

En 1928, les EIC sont reprises par la Pullman Car Company, célèbre pour ses réalisations de voitures destinées aux grands express européens. C'est alors l'âge d'or des grands trains, et des ateliers rochelais sortiront quelques unes des plus belles voitures intégrées aux trains prestigieux de l'époque : Orient Express, Train Bleu, Flèche du Nord, etc…

Dès 1933, l'entreprise se lance dans les technologies de pointe, et livre à la compagnie de l'Etat ses premières voitures à caisse en aluminium. Des établissements charentais sortiront aussi à partir de 1937 les voitures à caisse allégée pour l'Etat : les fameuses voitures " saucisson " au profil de caisse ovoïde et aux fenêtres ovales.

Le site vers 1930 (Photo ALSTOM)

 

L'usine s'est considérablement agrandie, et de nombreux bâtiments occupent déjà l'emplacement qui est encore le leur actuellement. Cependant, le paysage qui l'entoure est encore bien différent, le site faisant figure d'usine à la campagne alors que l'urbanisation de l'agglomération rochelaise ne l'a pas encore rattrapée...

Le début des années 30 voit aussi le fort développement de la banlieue parisienne, qui nécessite le renforcement des dessertes au départ des grandes gares de la capitale. Les EIC réalisent alors à partir de 1933 pour la compagnie de l'Etat les premières voitures de banlieue à 2 niveaux, ancètres directes des actuelles VB2N et qui resteront en service jusqu'au milieu des années 70.

 

Les années noires

Durant la seconde guerre mondiale, les allemands tentent de réquisitionner l'usine à leur profit, mais ne parviendront jamais à contraindre le personnel au travail forcé, celui-ci ayant été de toutes façons dispersé dès les premiers temps du conflit. Par ailleurs, de nombreuses machines-outils avaient été préventivement cachées dans des fosses sous les bâtiments, afin d'être préservées de l'occupant. L'usine entre donc dans une longue létargie, seuls quelques ouvriers restant sur le site pour de menus travaux (essentiellement d'entretien) et quelques productions anecdotiques, comme des tracteurs agricoles.

Certains ouvriers, compte-tenu de leurs compétences reconnues, seront néanmoins contraints au STO en Allemagne et en Autriche.

 

L'après-guerre

Une fois le conflit achevé, l'usine redémarre grâce à la motivation du personnel et aux machines-outils habilement camouflées. Et c'est sous le même nom des EIC, mais avec cette fois des capitaux entièrement français (majorité détenue par la banque Rotschild), que l'entreprise reprend ses productions en 1946.

Cette production ne sera pas exclusivement ferroviaire, puisque sortiront notamment des ateliers des tracteurs agricoles (de marque Ecco) et des gazogènes pour équiper des camions (en attendant que la production d'essence reprenne dans le pays).

Les années 50 et 60 vont être fructueuses pour les EIC, qui vont élargir leur gamme ferroviaire en se lançant d'une part dans la construction de rames de métros, et d'autre part dans la réalisation de locomotives diesel : l'époque est en effet au développement des transports urbains dans une France qui ne connaît pas encore les " joies " (!) du tout automobile, mais aussi au lent déclin de la traction vapeur et à la diéselisation lourde entreprise par la toute jeune SNCF.

Le site vers 1950 (Photo ALSTOM)

 

L'usine s'est fortement développée, et de nombreux bâtiments sont sortis de terre, dont le bâtiment des études et de la Direction (au premier plan), construit en briques rouges et qui abrite toujours aujourd'hui les bureaux d'études.

Sortiront alors des ateliers rochelais :

La première BB 67000 sur les voies de l'usine d'Aytré en 1963 (Photo ALSTOM)

 

Mais aussi :

Entretemps, les EIC ont été rachetées par le groupe Brissonneau et Lotz en 1956.

A cette période, et bien que la vocation de l'établissement reste essentiellement ferroviaire, l'usine réalise également d'autres productions, comme par exemple des charpentes métalliques pour les avions Morane. Cette diversification perdurera jusqu'à l'absorption par ALSTHOM, puisque sera également installé dans les années 60 un atelier de réalisation de profilés aluminium et de menuiserie métallique. Cet atelier réalisera des châssis de fenêtre pour la construction de bâtiments, notamment pour la Tour Montparnasse.

 

L'aventure du TGV

Les années 70 sont synonymes de grands évènements pour l'entreprise, avec tout d'abord le rachat de Brissonneau et Lotz par ALSTHOM en 1972, et ensuite cette même année par la concrétisation des premiers pas de l'aventure du TGV avec la sortie du prototype 001 de l'usine de Belfort, l'établissement rochelais ayant réalisé les véhicules intermédiaires.

Le site en 1970, peu avant l'intégration dans le groupe ALSTHOM (Photo ALSTOM)

 

Le TGV devient alors le produit phare de l'établissement charentais, qui devient maître d'œuvre, au sein du groupe ALSTHOM, de l'ensemble du tronçon de remorques (avec comme co-participants les constructeurs, encore indépendants, DE DIETRICH et ANF). C'est ainsi qu'en 1978 sort des ateliers le premier tronçon pour le TGV Paris Sud Est, premier d'une très longue lignée.

Le site a, quant à lui, sa morphologie quasi "définitive" qu'il présente encore aujourd'hui, et sa production devient exclusivement ferroviaire.

 

L'ère des Corail

Entretemps, la SNCF a entrepris dès 1975 un important renouvellement de son parc de voitures voyageurs, de manière à réformer de nombreuses séries issues d'avant guerre ou de l'immédiat après-guerre.

Dans un soucis d'harmonisation du parc et de standardisation de la maintenance, l'opérateur national développe le concept de la voiture Corail. Déjà associé à la construction des voitures Eurofima sous l'égide de l'UIC, l'établissement charentais est tout naturellement impliqué dans la réalisation des voitures Corail, et devient, avec la Société Franco-Belge, l'un des deux principaux centres de production de ces voitures qui essaiemeront sur l'ensemble du territoire français, et même au-delà des frontières, incorporées dans certains trains internationaux. Environ 2000 voitures Corail seront ainsi produites à Aytré.

 

L'âge d'or des métros

Les années 70 et 80 sont aussi l'occasion pour l'usine rochelaise de démontrer son savoir-faire dans le domaine des métros. Sortent ainsi des ateliers d'Aytré de nombreuses rames pour Paris (MF67 puis MF77, avec en tout plus de 1300 véhicules), Mexico, Lyon (Lignes A, B, C et D), Santiago, Le Caire, Caracas.

Métros pour Santiago du Chili, Paris (MF77), Lyon et Le Caire (Photo ALSTOM)

 

L'absorption de la CIMT, grand spécialiste de ce type de matériel, sonnera toutefois la fin de la production à Aytré, le groupe ALSTHOM recentrant cette activité sur son établissement valenciennois. Seule exception à la règle, l'établissement rochelais livrera des rames pour la ville d'Athènes à la fin des années 1990, dans le cadre d'un consortium piloté par SIEMENS et afin de soulager l'usine de Valenciennes, alors en pleine charge.

 

Le renouveau du tramway

Au début des années 80, et face à l'augmentation anarchique du trafic automobile dans les grandes agglomérations françaises, les autorités françaises lancent un concours destiné à concevoir ce qui est alors dénommé le Tramway Français Standard, et qui est destiné à reconquérir sa place dans les métropoles hexagonales.

Le concours est remporté par ALSTHOM, et c'est l'établissement d'Aytré qui est désigné pour réaliser les véhicules. Le premier TFS sort de l'usine rochelaise en 1984 pour être livré à Nantes, première ville à avoir relancé ce mode de transport dans notre pays.

Suivront ensuite une nombreuse descendance, le TFS subissant au passage, dès la seconde commande (pour Grenoble), des modifications qui lui donneront son design définitif. Ainsi, ce sont en tout 162 rames de type TFS qui sortiront d'Aytré jusqu'en 1996.

L'établissement d'Aytré livrera également, en coopération avec Vevey, les nouvelles rames du tramway de Saint Étienne suivant un design spécifique compte-tenu du gabarit tout à fait particulier en vigueur sur ce réseau.

 

Les années 90

Bien que déjà présent sur de nombreux contrats à l'export, le groupe ALSTHOM renforce sa stature internationale en 1989 en s'alliant avec le britannique GEC, pour devenir GEC ALSTHOM.

Dans les années 90, l'établissement d'Aytré continue la production des tronçons de remorques TGV, avec successivement le TGV Atlantique (amorcé dès 1987), le TGV Réseau, l'AVE (pour l'Espagne), le TMST (Eurostar), le TGV PBA, le TGV PBKA, le TGV Duplex et enfin le TGV Corée.

L'établissement travaille aussi en sous-traitance pour son homologue valenciennois, en produisant une partie des motrices Z2N livrées à la SNCF (séries Z 5600 et Z 8800).

En parallèle, le successeur du TFS sort des cartons sous le nom de CITADIS. Livré pour la première fois à Montpellier en 1999, celui-ci devient rapidement un best-seller avec plus de 500 véhicules vendus à la fin 2003 en France (Montpellier, Orléans, Lyon, Bordeaux, Mulhouse, Grenoble, Valenciennes, Paris, Nice) mais aussi à l'étranger (Barcelone, Dublin, Melbourne, Rotterdam, Tenerife, Jurusalem).

Enfin, l'établissement renoue en 1997 avec la traction diesel en démarrant la livraison à la SNCF de l'automoteur TER X 72500 (XTER), qui, malgré quelques défauts de jeunesse, participe activement à la relance du transport régional.

En 1998, l'entreprise change une nouvelle fois de nom à l'occasion de son introduction en bourse par ses deux principaux actionnaires que sont ALCATEL et GEC : ceux-ci cèdent la totalité de leurs participations sur le marché, et GEC ALSTHOM devient alors ALSTOM, entreprise indépendante.

 

Le site aujourd'hui

L'établissement rochelais dispose d'un outil industriel de premier plan, doté des moyens les plus modernes de conception (CAO) et de production (machines de découpe plasma et laser, robots de soudure semi-automatique, bancs de tests automatiques, etc...).

Toujours basé sur la commune d'Aytré, à quelques kilomètres du Vieux Port de La Rochelle, entre la voie ferrée Poitiers-La Rochelle et la départementale 939 Surgères-La Rochelle, il s'étend sur 23 hectares, dont 11 sont couverts, et sur une longueur totale d'environ 1,2 km.

Le site à la fin des années 90 (photo ALSTOM)

 

Il dispose d'une voie d'essais interne de 800 m, alimentable en diverses tensions (1,5 et 3 kV continu, 750 V continu) et disposant de deux écartements (standard et 1600 mm). Une implantation additionnelle, située à proximité de la gare de La Rochelle (centre d'essais de Bellevue), comporte un bâtiment d'essais statiques et deux voies d'essais dynamiques de 750 m (commutable 25 kV 50 Hz et 750 V continu) et de 1500 m (alimentée en 25 kV 50 Hz).

Le site d'essais de Bellevue

 

La capacité de production mensuelle est d'environ 2 tronçons de TGV, 3 à 4 rames automoteurs/automotrices et 7 à 9 tramways.

 

L'avenir

Le début des années 2000 apporte à l'établissement d'Aytré quelques beaux succès dans le segment des automotrices, avec la commande par les Régions et la SNCF de 57 exemplaires de l'automotrice Z 21500 (ZTER), apte à 200 km/h, mais aussi de 58 éléments tricaisses pour la banlieue de Melbourne (Australie) et de 27 éléments bicaisses pour la banlieue de Valparaiso (Chili).

Après les soubresauts financiers de la fin 2003, l'établissement d'Aytré a été conforté dans son rôle moteur au sein de la division Transport d'ALSTOM en devenant le centre mondial de compétences pour les trains à grande vitesse et pour les tramways. L'activité automoteurs et automotrices devrait en revanche s'éteindre petit à petit au profit de l'établissement alsacien de Reichshoffen, né de l'absorption de DE DIETRICH Ferroviaire.

L'histoire ferroviaire charentaise n'est donc pas terminée, et les couleurs du département continueront d'être haut portées aux quatre coins de la planète.

 

Bibliographie

Le Centre Social d'Aytré, en collaboration avec Paroles de Rochelais, a publié un très intéressant ouvrage : "Mémoire ouvrière d'Aytré - Des américains à ALSTOM 1918-2001". Cet opuscule, recueil de témoignages vivants, parfois cocasses, et plein d'anecdotes, relate la vie quotidienne de l'établissement des années 30 à l'aube du 21ème siècle par ceux qui y ont vécu et travaillé, parfois durant près de 40 ans.